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Coeur à penser
17 mai 2008

Kattzyre

Avant de parler de moi (je n'y arrive pas bien en ce moment,
trop de choses palpitent dans mon coeur et je crains que c
e trop
affadisse l'éclat des couleurs de mon bonheur)
,
je voudrais partager avec vous un texte
qu'un nouvel ami musicien m'a offert.

§

" RIVAGE

Le visage de l'homme faisait face à la mer. Ses traits,
grossiers au premier abord, trahissaient une concentration
extrême, une fixité résolue et semblaient concourir avec la
mer elle-même, d'une liquidité plate, dont pas une goutte
d?écume, pas une ondulation, pas même une vague ne
troublait la surface. C'était un tout immobile, la mer,
l'homme, la mer et l'homme. Seul le rivage dansait, un
peu ; lentement s'y formait un bouquet de couleurs; des
formes, floues puis à peine distinctes, un peu moins
équivoques, un peu plus dissemblables, un peu plus
autonomes, émergèrent du néant. Un enfant allongé faisait
des pâtés de sable, sculptait au coquillage des créneaux,
une tour, un pont-levis, que sais-je ? Le château disparut,
l'enfant redevint sable.

L'homme était toujours fixe, cependant que ses traits
s'affinaient. Il scrutait l'horizon avec un zèle parfait, la
pupille figée, l'iris de la même teinte que l'objet de sa
veille, ses cheveux couleur sable aussi pétrifiés que lui.
Son regard ne laissait refléter aucune parcelle d'âme,
simplement, il semblait faire partie du relief.

Au bout de la mer une forme apparut. Un mât, une
voile, un pavillon, des rames se réunirent en un seul, un
unique objet, un navire. Immobile, il n'avait pas glissé
mais s'était matérialisé sur les flots et gisait, à présent, à la
lisière du monde.
Comme en proie à un doute, l'homme ferma les yeux,
son visage devint flou et se changea en femme. Ses
paupières s'étirèrent d'abord en un long regard triste, puis
ses pommettes ensuite se haussèrent vers ses yeux, puis se
couvrirent de rose, de pourpre et d'éclat.

Une langue de vent enroula un nuage d'écume au-dessus
de la mer. Ignorant l'univers, le bateau poursuivait
son voyage immobile, et son existence même semblait
défier l'androgyne. Il s'habilla soudain d'une peau de
baleine, mais n'en bougea pas plus. Prisonnier sans nul
doute de l'océan limpide, ne cherchant pas la lutte, il
décida d'opter pour un corps d'albatros, mais se fondit en
ciel, et disparaissant au fin fond de l'image, il ne subsista
plus de lui que quelques particules évanouies dans l'éther.

La plage était déserte. De l'herbe en haut des dunes
grignotait bien pourtant un semblant de rivage, mais
abandonnée de tous sauf de l'être incongru la plage
semblait vouloir rester seul maître du terrain. Elle
ceinturait maintenant de ses bras granuleux la mer de
marbre bleu. Seul restait l'androgyne, l'homme-femme
comme phare témoin de l'immobilité. Sa forme était
acquise, il en serait ainsi jusqu'à la fin des temps.

Le temps, d'ailleurs, décida de sa mort, prochaine, à
deux instants de là. Quand l'idée vint à lui qu'était l'instant
propice, il se plia en deux, se retrancha lui-même à tout ce
qu'il était, et comme il était tout, dès lors tout ne fut rien,
même pas le néant. Rien.

" Rien. Néant. Je n'y arriverai jamais, dit le jeune
homme.
- Mais si, mon chéri, lui répondit sa femme. J'aimais
bien ce tableau, moi. Pourquoi l'as tu détruit ? ,
demanda-t-elle.
- Parce qu'il ne ressemblait à rien, répondit-il ", se
maudissant lui-même.

A rien. "


Kattzyre, in "Les contes univoques", 2001, ed Publibook

§

Vous pouvez retrouver le blues de Kattzyre sur :
(j'aime beaucoup So long)

http://www.virb.com/kattzyre

§

Merci, Katt, pour ton gentil mail touchant.

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